L’alimentation dicte les carrières des fourmis


Dites-moi ce que vous mangez et je vous dirai qui vous êtes ». Cet adage pourrait littéralement s'appliquer aux fourmis. Des chercheurs ont montré que ce qui scelle leur destinée d'ouvrière ou de reine a beaucoup à voir avec la nutrition des fourmis et une hormone qui en dépend : l'insuline.

Un texte de Renaud Manuguerra-Gagné

Pour les humains, que des choix alimentaires aient un impact sur le destin d’une vie entière pourrait, à ce qu’on sache, paraître surprenant. Ailleurs dans le règne animal, c’est toutefois une autre histoire, surtout pour les insectes sociaux, comme les fourmis.

On sait que leurs colonies sont divisées en castes. Il y a les mâles, qui ne servent à rien d’autre qu’à la reproduction et qui meurent tout de suite après. On trouve également plusieurs types de femelles, très différentes : plusieurs variantes d’ouvrières, qui sont stériles et vivent quelques mois tout au plus, et les reines, beaucoup plus volumineuses, capables de pondre des œufs et qui vivent jusqu’à 20 fois plus longtemps que les autres.

Malgré le peu de ressemblance entre ces deux groupes, comparer les ouvrières et les reines ne révèle pas de différences importantes au plan génétique. Plusieurs chercheurs essaient donc de comprendre ce qui fait qu’une fourmi deviendra ouvrière et qu'une autre deviendra reine.

Et un groupe a montré que le secret se cache(Nouvelle fenêtre) non seulement dans ce que ces insectes mangent, mais aussi dans l’expression d’un gène lié à l’insuline.

Quantité avant qualité
Chez les fourmis, comme pour n’importe quel autre animal, y compris les humains, l’insuline est produite après un repas pour aider les sucres à entrer dans les cellules qui en ont besoin.

Sans surprise, les chercheurs ont constaté que les larves qui mangent le plus, généralement celles choisies pour être des reines, présentaient un taux d’insuline plus élevé.

En étudiant sept espèces de fourmis, ils ont remarqué qu’une forme d’insuline était ainsi surexprimée chez les reines, mais pas chez les ouvrières.

Ils ont ensuite remarqué qu’en augmentant la production de cette insuline chez des ouvrières, ils réactivaient leurs ovaires, qui sont normalement atrophiés. Faire la même chose chez les reines menait aussi à une plus grande production d’œufs.

Le plus surprenant est toutefois que la présence des larves elle-même a un effet sur la production d’insuline des adultes. Lorsque les fourmis ouvrières étaient exposées aux larves, leur production d’insuline diminuait. À l’inverse, retirer les larves et laisser les ouvrières à elles-mêmes augmentait leur taux d’insuline. Jouer avec cette hormone n’était jamais suffisant pour initier un changement de statut social chez l’adulte, mais c’était probablement assez pour le renforcer, selon les chercheurs.

Des classes sociales dictées par la génétique
Ce n’est pas la première fois qu’on montre que l’alimentation joue un rôle dans les choix de carrière des insectes sociaux.

Chez les abeilles, par exemple, des chercheurs ont récemment montré que la diète donnée aux larves destinées à devenir des ouvrières, le pain d’abeille, contient des petites séquences génétiques qui bloquent le développement des ovaires de ces insectes.

Utiliser l'alimentation pour contrôler une société serait donc une tactique répandue, et chaque insecte a évolué avec sa propre méthode de contrôle génétique pour créer des castes.

L’étude sur les fourmis ne révèle pas si d’autres signaux sont impliqués et on ne sait pas ce qui pousse les ouvrières à nourrir certaines larves plus que d’autres.

On ne sait pas non plus comment cette technique de contrôle s’est insérée dans leur mode de reproduction, mais pour les chercheurs, c’est sûrement un phénomène qu’elles ont appris à maîtriser au cours de millions d’années d’évolution.

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