Une étude réalisée en partenariat avec l’Université de Lausanne montre qu’une hormone joue un rôle clé dans le changement de statut de ces insectes
Pourquoi les fourmis sortent-elles de leur fourmilière ? Qu’est-ce qui explique qu’elles parcourent des grandes distances lorsqu’elles grandissent ? La réponse est donnée pour la première fois par une équipe de chercheurs japonais et lausannois: c’est une molécule qui est liée à l’évolution de leur comportement.
Un article publié aujourd’hui dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) démontre ainsi qu’une hormone, l’inotocine, permet aux jeunes ouvrières de renforcer leur carapace afin de pouvoir sortir de la fourmilière et de changer de rôle au sein de la colonie.
L’inotocine est un neuropeptide, une petite protéine cérébrale qui a la même origine que l’ocytocine. Chez les vertébrés, cette dernière a déjà des effets connus. Pour les femmes, c’est elle qui stimule les contractions utérines pendant l’accouchement, et la lactation lors de l’allaitement du bébé. Pour les hommes, elle favorise la générosité, le lien social et l’empathie. On la surnomme parfois «hormone de l’amour».
La recherche a été initiée en 2016 par la Japonaise Akiko Koto, venue effectuer son post-doctorat en Suisse au sein de l’équipe de Laurent Keller, au Département d’écologie et évolution de la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne (Unil). Les myrmécologues ont commencé par collecter des Camponous japonicus et des Camponotus fellah issues de reines importées d’Israël et du Japon. Ces fourmis ont une taille suffisamment grande pour être étudiées en laboratoire. Pour déterminer leur âge tout au long de leurs expériences, ils ont peint chaque mois une couleur différente sur les nouveau-nés.
Micro-puce
Ils ont dû également développer leur propre système de suivi des fourmis, en leur implantant une micro-puce à radiofréquences (RFID) alors qu’elles étaient immobilisées sur de la glace, afin de suivre leurs déplacements et d’en déduire ainsi leur comportement. Puis il a fallu quantifier l’inotocine. Pour cela, les chercheurs ont mesuré l’activité des gènes associés à son expression.
Akiko Koto est repartie au Japon avec les fourmis et a continué la recherche à l’Université́ de Tokyo et à l’Institut national de la science et des technologies industrielles avancées à Tsukuba. Les résultats sont d’importance dans la discipline qu’est la science des insectes, l’entomologie. Ils montrent que le taux d’inotocine varie en fonction de l’âge de la fourmi.
Durant les quatre premiers mois de leur existence, les fourmis étudiées occupent un rôle de nourrices et restent au sein du nid pour s’occuper des nouveaux œufs, des larves et des nymphes. L’inotocine est alors en faible quantité dans leur organisme, ont mesuré les auteurs.
Couche protectrice
Passé un certain âge, elles deviennent des fourragères et partent hors de la fourmilière, en quête de nourriture. C’est alors que le taux d’inotocine augmente, a constaté Laurent Keller, myrmécologue à l’Unil, qui a dirigé la recherche. «A ce moment-là apparaît une couche protectrice d’hydrocarbures cuticulaires qui va les protéger du froid, et leur éviter la dessiccation, c’est-à-dire le dessèchement», analyse-t-il.
La cuticule, cette carapace renforcée des fourmis, n’est pas seulement un rempart contre le froid ou les agressions, elle est aussi un moyen pour elles de se reconnaître et d’identifier les membres d’une même colonie. Pour le chercheur lausannois, qui se dit volontiers «éleveur de fourmis» lorsqu’on lui demande son métier, «il est intéressant qu’une hormone qui a une origine unique et qui a été maintenue chez les mammifères et chez les insectes soit à l’origine de comportements très différents». Voilà qui devrait ouvrir la porte à de nouvelles découvertes sur le rôle de l’ocytocine chez les mammifères.
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