Les fourmis détiennent les secrets du vieillissement

 

Dans une colonie de fourmis, la reine vit 50 fois plus longtemps qu'une ouvrière. Pour comprendre ce qui se cache derrière cette longévité exceptionnelle, un professeur lausannois a reçu le Prix Leenaards 2000 de l'encouragement à la recherche.

Chez les insectes sociaux, abeilles, fourmis ou termites, les reines vivent exceptionnellement longtemps en comparaison de leurs congénères ouvrières. Et cela n'a pas seulement à voir avec le mode de vie plutôt sûr de la reine, bien protégée au fond de son nid, et de celui risqué de l'ouvrière, qui doit s'aventurer dehors à la quête de nourriture. Chez les fourmis, une ouvrière qui a échappé à tout prédateur meurt «de vieillesse» 50 fois plus vite que la reine. Pourtant ces deux types de femelles reçoivent à la naissance le même bagage génétique. Comprendre cette curiosité biologique permettrait de percer les secrets du vieillissement de la fourmi et d'autres animaux, voire de l'homme. Pour relever ce défi, Laurent Keller, directeur de l'Institut d'écologie de l'Université de Lausanne, a reçu le Prix Leenaards 2000 d'encouragement à la recherche scientifique, en compagnie de deux autres équipes romandes (lire Le Temps du 12 mai).

Chez tous les animaux, vieillir, puis mourir, est un phénomène naturel, programmé génétiquement. Selon les espèces, l'espérance de vie est plus ou moins longue, mais toujours limitée. Les insectes ne vivent en moyenne qu'un seul mois. Quant aux hommes, même particulièrement résistants et bichonnés, la limite semble se situer autour de 120 ans.

Ce vieillissement inéluctable se déroule au niveau cellulaire. L'ADN, qui se détériore au fil du temps, n'est plus réparé correctement. Le cycle de la division cellulaire peut s'interrompre ou devenir chaotique. Or, grâce notamment au décryptage du génome de la mouche drosophile et d'un ver plat – le nématode Caenorbitis elegans –, les chercheurs ont déjà identifié sept gènes capables de s'opposer au vieillissement naturel des cellules, des gènes qui sont probablement universels dans le monde animal. Ils agissent à plusieurs niveaux. Une première catégorie a des propriétés antioxydantes: s'ils sont activés, ils parviennent à lutter contre les agressions de l'oxygène et des radicaux libres qui dégradent l'ADN. D'autres gènes sont spécialisés dans l'entretien chromosomique: ils savent repérer puis réparer les infimes dégâts qui surviennent dans les gènes. Si la réparation s'avère impossible, ils ordonnent à la cellule de se suicider pour éviter que le défaut ne perdure dans les générations cellulaires suivantes. Une troisième famille de gènes est impliquée dans la régulation du cycle de développement de la cellule et de son métabolisme. Laurent Keller, persuadé que ces gènes anti-vieillissement jouent un rôle dans la longévité exceptionnelle des fourmis reines par rapport à leurs consœurs ouvrières, va tenter de localiser leurs équivalents sur les chromosomes de ces insectes.

Mais la simple présence des gènes ne suffit pas puisque, on l'a vu, les deux types de femelles ont a priori le même bagage chromosomique. Encore faut-il qu'ils soient «exprimés», c'est-à-dire qu'ils fassent leur travail. De nombreux gènes en effet «dorment», constamment ou par intermittence, selon les cellules qui les abritent. Pour prendre un exemple, toutes nos cellules possèdent le gène codé pour produire de l'insuline, mais seules quelques-unes, situées dans le pancréas, l'expriment, donc fabriquent cette hormone essentielle à la pénétration du sucre dans les cellules. De plus, le pancréas ne fabrique pas de l'insuline constamment, mais à la demande, selon le taux de sucre présent dans le sang.

Le travail de l'équipe de Laurent Keller va ainsi consister à observer, chez des individus jeunes, adultes et très âgés pris au sein d'une même caste, quand ces gènes anti-vieillissement sont actifs et quand ils sont au contraire inhibés. Il s'agira ensuite de comparer entre eux les individus de même âge biologique, mais de castes différentes. Avec à la clé, si l'hypothèse est la bonne, l'explication de la longévité des reines.

Laurent Keller compte mener ses expériences sur deux espèces. La première, Lasius niger, est une petite fourmi noire fréquente dans les jardins romands. La seconde – Solenopsis invicta ou fourmi de feu – , originaire d'Amérique du Sud, a été importée accidentellement aux Etats-Unis où elle provoque de gros dégâts sur les cultures. Si tout marche bien, Laurent Keller pourra ainsi encore comparer deux espèces dont la longévité des reines est très différentes: 25 à 30 ans pour Lasius niger contre 7 ans pour la fourmi de feu.

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